1998, H. Broch, extrait adapté de Bulletin de la Société Royale des Sciences, Liège, Belgique, vol. 67, N° 5, pp. 235-253
1 État des lieux
L’évidence selon laquelle « le fait même d’être dans une société technologiquement avancée aurait pour conséquence une élimination rapide de la pensée irrationnelle » a vécu. En Europe, en France, et en pleine fin de XXème siècle, une femme qui se faisait une joie de devenir mère, une enseignante – la précision, nous le verrons plus loin, a son importance – est conduite à faire mourir son nouveau-né par noyade pour suivre la nouvelle mystique biologico-marine prônée par un gourou (ex)soviétique…
1.1 Le constat…
En cette fin de XXe siècle, l’astrologie, la parapsychologie, les médecines magiques et autres phénomènes « paranormaux » ont pignon sur rue. Peut-on essayer de comprendre pourquoi ? Si nous prenons l’exemple du pays de Descartes, les croyances (sans aucune connotation péjorative dans ce vocable), et l’irrationnel au sens large, y fleurissent d’une manière beaucoup plus forte que ce que l’on pourrait présupposer. En lieu et place d’un descriptif et de fortes périphrases voici quelques résultats qui parleront d’eux mêmes.
Ce tableau résume une enquête que j’ai menée en 1982-83 sur les crédits respectifs qu’accordaient les étudiants en premier cycle d’études universitaires scientifiques à la torsion des métaux par le seul pouvoir de l’esprit – la psychokinèse dont les médias étaient à l’époque si friands – et à la dilatation relativiste du temps – expliquée par la théorie de la Relativité et observée en laboratoire via la durée de vie des particules. Le résultat vraiment choquant de cette enquête et la constatation de l’influence grandissante des idées « parapsychologiques » chez les étudiants en matières scientifiques (influence se traduisant directement dans leur comportement par rapport au domaine enseigné) m’ont montré à l’époque la nécessité de faire quelque chose concrètement.
Ces constatations (n’étaient pas) ne sont pas du tout un exemple isolé ou dues à un contexte local particulier ou une formulation ambiguë des questions posées; les résultats sont statistiquement significatifs et sont confortés par des enquêtes d’envergure nationale effectuées par des gens de métier. Les trois tableaux suivants (bâtis sur une enquête sur les croyances aux parasciences, publiée par deux sociologues, à partir d’un sondage d’opinion portant sur les attitudes des Français à l’égard de la science*) nous révèlent quelques aspects intéressants et.. surprenants. Le niveau de croyance baisse avec l’âge de manière quasi continu et, chose alléguée depuis longtemps, la disparité Homme-Femme/Croyances (astrologie tout au moins) est très clairement confirmée.
Contrairement à ce que l’on pouvait supposer a priori, le degré de croyance au paranormal est directement proportionnel au niveau des études effectuées. Les auteurs de l’enquête ont ainsi établi que « quelle que soit la situation religieuse, la croyance au paranormal est d’autant plus fréquente que le niveau d’études est plus élevé. » Le supérieur scientifique fait un petit peu exception… un petit peu car son niveau de croyance demeure pourtant supérieur à la moyenne!
En ce qui concerne le niveau de croyances en fonction des catégories socioprofessionnelles, les résultats sont tout aussi éloquents et les enquêteurs Boy et Michelat notaient même que « les instituteurs sont un groupe pivot puisqu’ils se définissent comme le groupe qui croit le plus fréquemment à l’astrologie et au paranormal ». On peut noter sur ce graphe que la crédibilité des réputées et tant débattues « croyances dans les campagnes » prend un sérieux coup de massue puisque les agriculteurs forment en fait la catégorie socioprofessionnelle qui croit le moins simultanément à l’astrologie et aux phénomènes paranormaux.
Par contre, les professeurs, bien qu’ayant un niveau de croyance en l’astrologie « faible » (près de 30% tout de même !), ont un niveau de croyance au paranormal supérieur à la moyenne française.
En résumé, le résultat surprenant qui se dégage de l’ensemble de ces travaux est le fait que le milieu éducatif – et l‘ensemble de ses acteurs: instituteurs, professeurs, étudiants – est particulièrement caractérisé par son niveau élevé de croyance au paranormal.
Un exemple parmi de très nombreux autres :
Remarquons dans le premier de ces trois tableaux que, simultanément, 81% des Français pensent que le développement de la science entraîne le progrès de l’humanité et 58% pensent que l’astrologie… est une science . Ce qui incite sans doute à prendre les réponses sur le « développement de la science » avec quelques longues pincettes !
1.2 Une situation paradoxale ?
L’obscurantisme avec ses tristes conséquences connaît donc une diffusion sans précédent. Pourtant, il ne faudrait point en conclure un peu hâtivement que le corpus des phénomènes paranormaux s’élargit actuellement, en quantité et en qualité.
En effet, « paradoxalement », si les croyances sont en pleine expansion, il faut bien se rendre compte que les phénomènes paranormaux, eux, ne croissent ni en nombre, ni en intensité. Au contraire même, ce corpus va en se rétrécissant comme une peau de chagrin (à l’heure actuelle, on ne voit plus tellement de sorcières se déplaçant dans l’espace sur un balai…) et l’intensité des phénomènes revendiqués décroit également très rapidement.
A titre d’exemple, voici la variation de la « puissance » de déplacement de la PK (psychokinèse ou télékinèse ou pouvoir de l’esprit sur la matière) au cours du temps:
Le « mana » est censé avoir déplacé il y a plusieurs siècles les statues de l’île de Pâques d’une masse de plusieurs tonnes. Dans les années 1850, ce même pouvoir permettait de mouvoir de lourdes tables d’environ une centaine de kilogrammes. Quelques décennies plus tard, toujours ce même pouvoir déplaçait des casseroles de 1 kilogramme. Dans les années 1970, on arrivait au déplacement de petits objets, comme des pièces d’un jeu d’échec. A l’heure actuelle, ce pouvoir permettrait à un médium se concentrant très très très fortement, de déplacer… un infime bout de papier de l’ordre du gramme !
Le phénomène PK a donc chuté par un facteur de plus d’un million au cours du temps. Cette chute claire est retrouvée lors de l’examen de tout autre phénomène paranormal (l’intensité des « faits » paranormaux chute évidemment parallèlement à la sophistication accrue des moyens de contrôle) quel qu’il soit, de la PK à l’eau de Lourdes (le pouvoir de guérison de cette dernière a subi la même chute depuis les apparitions de 1858 et les premières guérisons…).
Le paradoxe apparent que pose la juxtaposition/comparaison de la forte croissance des croyances au paranormal avec la diminution du nombre de phénomènes et de leur intensité peut toutefois s’expliquer assez simplement.
1.3 Explication(s) possible(s)…
1.3.1 Caisse de résonance des médias
Le corpus des phénomènes paranormaux reçoit en effet aide et soutien de cette caisse de résonance sans équivalent pour les générations passées. Exemple d’effet amplificateur des médias « électroniques »: un simple petit gourou de village, qui au début du siècle n’aurait eu qu’une influence très locale, touche maintenant des millions de foyers et de personnes.
1.3.2 Dérive déontologique du milieu journalistique
Inutile d’épiloguer sur les médiamensonges et leurs néfastes influences. Il suffit de songer aux mensonges caractérisés diffusés par certaines émissions consacrées (ou non) au « paranormal » et à la dérive déontologique de journalistes qui n’hésitent pas à sacrifier la vérité sur l’autel audimatique (et du rapport financier). Non, les médias – la généralisation est certes abusive et il faut entendre ici « de très nombreux médias » – via les producteurs et journalistes qui en font le contenu ne sont point les porteurs de lumière qu’espéraient souvent leurs propres fondateurs. Ils ne donnent pas non plus aux lecteurs-auditeurs-visionneurs ce que ces derniers attendent; ils ne sont pas les « traducteurs », les « intermédiaires », les « médiums » (!) d’une demande. Ils créent cette demande et font, ensuite, mine de simplement y répondre. Les médias ne sont pas neutres mais au contraire accentuent les phénomènes de retour à la religiosité, à une religiosité de pacotille. « Dans ce sens, alors qu’ils semblent fonctionner comme un thermomètre qui enregistre une hausse de température, les médias font au contraire partie du combustible qui alimente la chaudière ». Le seul problème avec cette jolie description d’Umberto Eco, c’est qu’elle est encore beaucoup trop… optimiste ! Un combustible se consumant et disparaissant dans la chaudière. Les médias sont bien plutôt un des chauffeurs qui alimentent en combustible la chaudière.
Les hommes de médias devraient réfléchir sérieusement aux notions de neutralité et de responsabilité. De nombreux acteurs desdits médias ont, en effet, une fâcheuse tendance à se retrancher derrière leur « nécessaire » (sic) neutralité pour nous présenter des reportages sans enquête sérieuse, des « informations » sans aucun commentaire, sous le prétexte que l’auditeur saura juger de lui-même. Ils oublient simplement – ou feignent d’oublier – qu’un esprit critique s’exerce à vide s’il n’est pas suffisamment informé et informé de façon suffisamment objective. Ces acteurs-prêtres tremblent en fait car leur religion stipule qu’une attitude tout simplement objective de leur part provoquerait le courroux du grand dieu Audimat. D’où le fallacieux recours à la « neutralité ». Dont la distance à la lâcheté et à la complicité devient alors vraiment minime.
1.3.3 Courroie de transmission du… milieu éducatif !
Contrairement à ce que l’on aurait pu supposer a priori et en confirmation des niveaux de croyance en fonction des catégories socioprofessionnelles (cf. graphe en début de texte), le milieu éducatif se fait… la courroie de transmission des croyances.C’est ainsi que pendant 3 ans, jusqu’en 1994-95, quatre classes de 6ème d’un collège public du Sud de la France ont été formées (avec l’accord de l’ensemble de l’équipe « pédagogique » et du principal du collège) en triant les élèves sur critères… astrologiques !!! Et cette « astropédagogie » n’est pas un épiphénomène…
- Le catalogue du Club Retz de l’école et de la vie modernes « réservé aux enseignants » nous fait découvrir en 1993 « Comment pratiquer la radiesthésie ».
- Le catalogue de livres Eclectis/Camif (coopérative des enseignants) nous présente, en 1994, « au service de la connaissance »… l’ésotérisme » . On se demande encore si l’étymologie signifie quelque chose pour ces enseignants…
- La société Edusoft, filiale de Nathan pour les « Logiciels éducatifs et culturels », nous présente son 1er catalogue lors de l’année scolaire 1994-95: « …Nathan logiciels au service de l’enseignement… choix exceptionnel d’outils pédagogiques multimédia. (…) Vérifiez-le en parcourant la gamme PC Encyclopaedia… ». Un titre (un seul) de cette gamme est un peu caché… Il s’agit de PC Astrologie !…. Vous avez dit Edu-soft ?
- De même un catalogue CAMIF de 1986 présentait à la vente une… pyramide, modèle réduit de la pyramide de Khéops, qui était censée avoir des pouvoirs mystérieux et « accélèrer le vieillissement naturel des vins… 2 à 3 ans en 3 à 5 semaines… Contrôlée par le laboratoire officiel d’oenologie de Beaune et reconnue par la presse spécialisée ». Evidemment, preuves en main, aucun laboratoire officiel d’oenologie n’a contrôlé quoi que ce soit et les pouvoirs pyramidaux se réduisent à zéro; mais profit oblige…
- Pour rester dans ce domaine d’émissions pyramidales, on peut rappeler que, fin septembre 1992, Arte, la fabuleuse chaîne dite « culturelle et publique », s’est ouverte sur le réseau hertzien par une émission assez particulière… Sous l’intitulé « Sciences et Techniques », cette première émission (oui, la toute première émission de Arte, celle qui définit en quelque sorte la tonalité de la chaîne, celle à qui l’on est censé apporter le plus grand soin au vu de son effet d' »amorce » vis-à-vis du public) a présenté comme vérité et acquis scientifique… les ondes de forme avec les pyramides – modèles réduits de celle de Khéops – qui… momifient la viande et aiguisent les lames de rasoir ! Le tout à grand renfort de croquis et d’ « expériences »…
1.3.4 Remplacement raison –> sensation
Une quatrième explication possible réside dans le fait que nous vivons actuellement une phase particulière de modification des processus d’acquisition des connaissances. L’expansion de l’information est en effet essentiellement, sinon seulement, caractérisée par une enflure de l’image visuelle et de la sensation immédiate au détriment du symbole écrit et de l’analyse étayée. En tant que moyen de communication, le symbole écrit permet l’analyse détaillée, construite, critique, et disponible sur un intervalle de temps conséquent, alors que les médias actuels font une place grandissante à l’image instantanée et aux stimuli qu’elle déclenche. Cette substitution du couple « Symbole écrit + Analyse étayée » par le couple « Image visuelle + Sensation immédiate », ce progressif et sournois remplacement de la raison par la sensation mériterait d’être étudié de manière globale, au-delà même de la conséquence pour laquelle je l’évoque ici, à savoir le confortement du type de pensée qui sous-tend le « paranormal ». En effet, la non-pratique active de la lecture et de l’écriture (symbole écrit et analyse) remplacée/repoussée de fait par l’absorption béate d’images (image et sensation) conduit évidemment au développement de l’illettrisme. Combien pouvons-nous faire de malheureux constats de personnes qui, ayant pourtant appris lecture et écriture, en ont complètement perdu la pratique au fil des longues heures passées devant un tube cathodique ? Il est d’autant plus nécessaire que cela change que, dans notre monde, la réalité commence à devenir un peu trop … virtuelle. « Mensongères, ces images [celles du pseudo-charnier de Timisoara] étaient vraiment logiques. Et venaient ratifier la fonction de la télévision dans un monde où l’on tend à remplacer la réalité par sa mise en scène. » Ces lignes d’Ignacio Ramonet (Le Monde Diplomatique, mars 1990) doivent éveiller notre attention et nous aider à la garder soutenue. Car c’est aussi de mise en scène qu’il s’agit dans de nombreuses émissions consacrées au paranormal; mise en scène présentée comme la réalité (l’émission « Mystères » de TF1 est un bon exemple de la re-construction, de la mise en scène de [ce qui est présenté comme] la réalité).
2 Que faire concrètement ?
La diffusion sans cesse croissante des pseudo-sciences et leur émergence au rang de véritables stars médiatiques pose en fait le problème de l’efficacité de la diffusion de la culture scientifique et technique – et de son corollaire immédiat, la prophylaxie des pseudo-sciences – d’une manière encore plus prégnante que par le passé.
2.1 Pas de tabous
Il faut démystifier les parasciences et ceux qui organisent et profitent de la diffusion de ces véritables ruines de la conscience. Et pour cela, il faut non seulement expliquer le fondement ou les prétendues bases desdites parasciences mais également montrer comment elles sont utilisées. Dans ce cadre, il faudra peut-être parfois consacrer quelques lignes à des personnes particulières, nommément désignées. Non que les attaques ad hominen relèvent particulièrement de l’éthique mais parce qu’il pourra s’agir ici d’une réelle nécessité.
Il faut mettre en lumière la complicité de certains – que ce soit par action consciente ou par naïve incompétence – dans l’entreprise d’obscurcissement du cerveau de nos concitoyens et de crétinisation de notre culture !
Dans un domaine où il est de bon ton de présupposer la compétence et l’honnêteté sans faille des intervenants il est d’autant plus nécessaire de dire ce qui est, y compris que l’on peut douter de l’honnêteté intellectuelle d’un cardinal-archévêque qui utilise un « miracle », de celle du producteur d’une émission de télévision qui diffuse une information délétère et l’utilise comme argument en en connaissant le mal-fondé, de celle d’un parapsychologue présenté comme « scientifique » mais dont on chercherait en vain les titres et fonctions, de celle d’un docteur métabiologiste au vu de ses exploits,…
Ceux qui désirent informer correctement mais qui hésitent, pour de multiples raisons, à écrire ou prononcer ce type de phrases commettent à mon avis une erreur car, contrairement à ce qui est souvent prétendu, cela apporte quelque chose au débat.
Juste quelques lignes afin que ma démarche soit bien perçue.
Si je désire vous entretenir sur la physique, je peux vous parler de Jean Perrin ou d’Henri Becquerel et de leurs expériences.
Si je désire vous parler de torsion métallique par le pouvoir de l’esprit ou de l’action moléculaire sans molécule, je vous parle des découvreurs de ces effets et de leurs expériences.
Mais la grande différence entre les deux, c’est que je peux vous entretenir d’expériences faites sur les mêmes propriétés atomiques sans avoir recours à Perrin ou Becquerel, alors qu’en ce qui concerne le paranormal, l’occulte, les pseudo-sciences,… le phénomène disparaît avec l’individu ! Que seraient en effet de très nombreux phénomènes « paranormaux » sans leurs inventeurs (au sens latin du terme, bien sûr) ou leurs médiums et hérauts ?
Pour parler de ces phénomènes, il est donc nécessaire de parler des personnes bien qu’il ne s’agisse en aucun cas de chercher à juger un individu en tant que tel; il s’agit uniquement de donner des éléments particuliers et souvent occultés permettant de se faire une idée sur la crédibilité du personnage qui lance certaines affirmations.
Il faut également se rappeler que « intellectuel intelligent » n’est pas nécessairement un pléonasme. Noam Chomsky a écrit à propos des journalistes :
« Ils ont créé l’image d’une masse stupide qui doit être dirigée par des intellectuels intelligents. En fait, ce que nous avons souvent découvert c’est que ces intellectuels, ces classes éduquées, forment la partie la plus endoctrinée, la plus ignorante, la plus stupide de la population. Il y a de très bonnes raisons à cela. Fondamentalement deux raisons. D’abord, en tant que population ‘lettrée’, ils sont les premiers soumis à la propagande massive. Il y a une deuxième raison, plus importante et plus subtile. Ils sont des organisateurs idéologiques (ideological managers). Par conséquent, ils doivent intérioriser la propagande et y croire. » (cité par G. de Selys dans sa conclusion à l’ouvrage collectif « Médiamensonges », EPO 1991)
Ne croyons pas que la découverte de Chomsky soit simplement due au fait qu’il ait enquêté chez les néo-primates intellectuels du Nouveau-Monde aux racines culturelles courtes et étriquées (c’est à peu près la vision qu’en ont certains depuis le pays de Descartes).
N’oublions pas que, dans ce bon vieux pays de France, « flambeau du monde », les enquêtes dont j’ai parlé lors de l’état des lieux nous ont montré que la croyance aux phénomènes paranormaux augmente avec le niveau « culturel ».
En fait, un intellectuel est une personne dont la profession comporte essentiellement une activité de l’esprit; certes, mais cela n’implique en rien que cette activité soit intelligente.
2.2 Le développement de la culture scientifique
Prôner le développement de la culture scientifique et technique, c’est évidemment le souhait et l’un des objectifs majeurs de tout système éducatif au sens large. Encore faut-il utiliser des concepts ou des règles qui puissent permettre à tout un chacun de s’approprier cette méthode et surtout de l’appliquer en situation. Car là est l’essentiel, bien au-delà de toute discussion épistémologique. Quel serait, en effet, l’intérêt d’un pouvoir ou d’un savoir uniquement discursif, sans aucune capacité opératoire ?
Il faut effectivement prendre garde de perdre le contact avec la matière, avec la réalité; le rôle de l’observation – de l’expérimentation – est fondamental. Surtout dans notre type de société où l’on enseigne et/ou vulgarise trop souvent les résultats de la science au lieu d’expliquer la manière dont ces résultats ont été obtenus. Surtout dans notre type de société où la rançon de l’univers médiatique se nomme superficialité.
Afin d’éviter cet écueil, il me paraît plus que nécessaire que les différents diffuseurs de la culture scientifique soient aussi des acteurs de cette même culture afin que le maître-mot devienne la paire « explication-action« . Le gain en efficacité devrait être alors au rendez-vous.
De la même manière, nous devons utiliser les nouveaux modes de communication et nouvelles techniques d’information afin de « mieux dire la Science » (selon l’expression du professeur Tubiana).
En n’oubliant pas toutefois de faire très attention à ce qui pourrait passer via un nouveau système de diffusion-communication-information: le multimédia.
Car, s’il est évidemment souhaitable de discuter des « tuyaux » dans lesquels on va faire circuler l’information et de sophistiquer ceux-ci à la fois dans leur technicité et dans leur présentation, il ne faut jamais oublier qu’il est encore plus important de s’assurer de la qualité du « fluide » qui circule à l’intérieur desdits tuyaux. Faisons bien attention à ne pas confondre le contenant avec le contenu; car si l’on croit réellement que « le médium est le message », imaginons alors la cacophonie du message lorsque ce médium (média) subira une méïose très peu contrôlée…
2.3 Le droit au rêve a pour pendant le devoir de vigilance
Quelle est l’attitude à adopter devant un phénomène « paranormal » ? Comment l’examiner ? Quelle est la méthode à utiliser ?
Un bon chercheur a besoin d’informations, d’outils et… d’imagination. En effet, la rationalité scientifique n’empiète en rien sur la liberté de penser ou de rêver et l’imagination vagabonde trouve toute sa place dans la recherche. Il faut simplement veiller à ne pas confondre poésie, hypothèse de salon et hypothèse de travail.
Pour être réellement efficace, le chercheur doit avoir présentes à l’esprit quelques règles de Zététique.
La Zététique est la « méthode dont on se sert pour pénétrer la raison des choses », E. Littré
(cf. in fine de cet article quelques lignes explicites sur ce vocable).
Enseignée dès l’Antiquité, la Zététique est en fait le refus de toute affirmation dogmatique. Pour ma part, je résume cela en disant qu’il s’agit de l’Art du Doute (rappelons qu’un Art est « l’ensemble des moyens, des procédés, des règles intéressant une activité, une profession », acception… presque malheureusement oubliée de nos jours !)
(…)
cf. Les Facettes de la Zététique —> Cliquez ici <---
et les Effets de la Zététique —> Cliquez ici <---.
(…)
Pour conclure…
En paraphrasant Jean Rostand qui parlait de l’astrologie, je dirai que « ce qui est grave, ce n’est pas que tant de gens croient au paranormal, c’est qu’ils jugent de choses sérieuses avec des têtes qui croient au paranormal ».
Comme juger de l’orientation scolaire d’enfants en fonction de leur thème astral, aberration pratiquée par les « astropédagogues » dont je parlais au début de ce texte.
Les croyances au paranormal sont intrinsèquement discréditrices de la science mais elles engendrent une conséquence encore plus large et plus grave. Les tenants du paranormal contribuent en fait à une mystification de la connaissance. Mystification qui a pour résultat une conception du monde dans laquelle de nombreux éléments échappent irrémédiablement à la compréhension – donc au contrôle – de la plupart des individus.
Entre autres choses, cette déformation des modes de pensée induit une stratification du monde très particulière. Il y a ceux qui ont des « pouvoirs », sont des « médiums », des « élus », savent et agissent et – loin en dessous – ceux qui s’étonnent, regardent et suivent sans comprendre.
Cette stratification contribue à l’émergence d’un fatalisme béat et à la déresponsabilisation de l’individu.
C’est principalement pour ces ultimes conséquences dans le comportement – que l’on peut déjà observer directement chez de nombreux jeunes – que la prophylaxie des pseudo-sciences est un des impératifs du système éducatif d’aujourd’hui .
Un objectif essentiel des organismes de diffusion de la culture scientifique doit être de former des personnes aptes à la réflexion, réceptives aux nouvelles idées et capables d’avoir une attitude critique. Nous ne devons pas nous borner à la transmission nécessairement finie d’une matière, d’un sujet ou d’une discipline. La relation enseignants-enseignés, diffuseurs-récepteurs ne prend sa pleine signification que si elle stimule un processus dynamique de recherche d’informations.
Le constat des enquêtes sociologiques dont j’ai parlé en présentation illustre en fait les conséquences des lacunes de notre système d’éducation/diffusion scientifique. La plus importante de ces lacunes étant peut-être que la science est rarement enseignée comme un outil cognitif.
La science est en effet enseignée/diffusée dans le contexte d’une matière spécifique, ce qui, au mieux, encourage le receveur à la compartimenter en un ensemble de techniques brutes valables uniquement dans des domaines spécifiques, sinon étroits.
La diffusion de la culture scientifique, de la Zététique, est la condition sine qua non du rapprochement de ceux qui « font » la science et ceux qui la « subissent ». Avec toutes les connotations et implications – y compris sociales – que ce dernier vocable comporte. Le dialogue est plus qu’urgent si l’on désire que la société ne soit point recouverte, dans sa large majorité, d’un voile d’obscurantisme et déraison.
Mais l’appropriation d’une culture scientifique nécessite d’abord la compréhension de ce qu’est la démarche scientifique. Avec toutes ses facettes dont ses débats et remises en question internes constantes qui en font réellement un processus auto-correctif de découverte, à l’opposé de tous les dogmes, à l’opposé de toutes les « para-sciences ».
C’est dans cet exercice d’explication de la Zététique, de la démarche et de l’esprit de la science que, paradoxalement, les pseudo-sciences ont un rôle positif à jouer.
Les fausses sciences ont en effet un pouvoir de performance nul, c’est-à-dire qu’aucun progrès ne peut leur être attribué et pourtant l’on pourrait faire en sorte que, par l’exemple de leur déraison, les fausses sciences aboutissent… au progrès de la raison et à une diffusion plus large de la méthodologie scientifique, de la Zététique.
Sans oublier qu’offrir à chaque homme de la Cité les outils nécessaires à une réflexion sur le « paranormal » c’est permettre, via ce support motivant, une réflexion sur les enjeux et choix scientifiques et technologiques qui marqueront nécessairement son futur.
Un dernier mot.
Il est légitime de s’intéresser aux phénomènes « hors de l’ordinaire » et nul ne cherche à interdire les séductions du « paranormal ».
Mais si d’aventure nous sommes réunis autour d’un guéridon grinçant afin d’invoquer l’esprit, plutôt que de poser assez classiquement la question « Esprit, es-tu là ? », je propose de rajouter un petit adjectif et de (nous) poser la question ainsi :
« Esprit critique, es-tu là ? »
Références:
Le présent texte est un condensé de divers écrits que j’ai pu faire sur le sujet du développement de l’esprit critique. Les deux principales références sont les ouvrages suivants (la référence N° 2 contient un répertoire thématique et une bibliographie d’environ un millier d’ouvrages et articles zététiques permettant de se documenter sur quasiment n’importe quel sujet « paranormal »)
(1) BROCH Henri, « Le Paranormal », Ed. Seuil, Paris, (1985 …) 2007
(2) BROCH Henri, « Au Coeur de l’Extra-Ordinaire », collection « Zététique », Ed. Book-e-Book (1991…) 10ème édition 2015
(édition d’origine : Horizon Chimérique, Bordeaux 1991). Pour un contenu détaillée, cf. la Table des Matières
* L’enquête correspondant à ces trois tableaux a été publiée par Daniel Boy et Guy Michelat : « Croyances aux parasciences ; dimensions sociales et culturelles », Revue Française de Sociologie, XXVII, avril-juin 1986, p. 175-204. Les points (cercles) portés sur les graphiques sont uniquement destinés à donner les niveaux de croyance obtenus ; ces disques sont donc tous de même taille et leur diamètre ne correspond évidemment pas à l’incertitude statistique (différente sur chacune des valeurs considérées, en fonction des effectifs testés)